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Ruysbroek Van Jan (1293 – 1381), dit l’admirable, écrivain mystique qui illumine la Flandre du quatorzième siècle, et fut à l’origine de la Devotio moderna. Ses écrits mystiques, qui semblent jaillirent de ses propres expériences, vivantes et profondes, comptent parmi les premiers chefs-d’œuvre de la langue néerlandaise.

Le royaume des amants

(…) La troisième voie est une voie surnaturelle et divine. L’âme y est mue par le Saint-Esprit, c’est-à-dire par la charité divine, laquelle meut l’homme de sept façons, par sept modes appelés les sept dons, tels que les décrit Isaïe : ils constituent sept vertus principales, origine et racine de toutes les vertus.

Or l’Esprit de Dieu est semblable à une source vive d’où jaillissent sept veines qui forme sept ruisseaux roulant leurs eaux vives dans le fond de l’âme, irriguant son royaume et le fertilisant de diverses manières.

L’Esprit de Dieu est la libéralité sans mesure, la clarté, le feu qui embrase, fait brûler et briller les sept dons en la cime de l’âme, pareils aux sept lampes devant le trône de la majesté suprême.

Le Saint Esprit, la divine charité, clair soleil de l’éternité, émet sept rayons brillants de clarté qui éclairent, illuminent et fertilisent le royaume de l’âme. Ces sept dons ont leur lieu en la cime de l’âme comme les sept planètes au firmament ; ils règlent et ordonnent le royaume de l’âme dans l’amour divin. Ils sont semblables encore aux sept tresses de cheveux qui ornent le chef de Samson dans sa force, c’est-à-dire de l’âme aimante avec sa volonté libre comblée de grâces divines, forte et sage à l’encontre de tout dérèglement : aussi l’ennemi convoite-t-il de les retrancher. Ces sept dons sont les sept manières dont s’exerce l’action du Saint-Esprit dans l’âme, en vue de l’orner, de l’ordonner, de la rendre semblable à Lui-même et de la parachever pour la faire jouir de Lui-même dans l’éternité.  (…)

En cinquième lieu le royaume de Dieu est montré aux amants au-dessus de toute lumière créée dans une lumière divine immense, et cela doit se faire au-dessus de la raison, dans l’esprit recueilli, dans la surséance de Dieu. Là il reçoit trois sortes de fruits : une illumination sans mesure, un amour incompréhensible et une jouissance divine.

Le premier fruit est une clarté immense, cause de toute la clarté qui se rencontre dans la contemplation et dans l’action. Cette radieuse clarté est si délectable pour l’entendement qu’il s’échappe à lui-même pour y plonger par son essence et ne plus faire qu’un avec cette clarté immense.

Le second fruit est un incompréhensible amour qui pénètre tout le royaume de l’âme selon que chaque puissance est susceptible de s’en imprégner ; et il fait fondre l’âme dans un amour simple et essentiel. Par cette clarté immense et cet amour incompréhensible l’âme est pénétrée et envahie ; elle vient ainsi à la jouissance et c’est là le troisième fruit. La jouissance est si grande que Dieu et tous les saints, ainsi que tous les hommes excellents y nagent et y fondent en des profondeurs sans modes, c’est-à-dire dans la nescience où ils se perdent pour l’éternité ; mais c’est en plongeant ainsi dans cet abîme pour s’y perdre, qu’on goûte la jouissance suprême. (…)